Un essai d'utilisation de l'ordinateur à l'école (Paru dans l'Educateur, 9, 38-39, 1987)

M. Grossen, J. Boillat, D. Christen, L-O. Pochon


Historique

Sur l'initiative de la Société suisse des Professeurs concernés par l'Informatique (SSPCI) et en accord avec les responsables cantonaux intéressés, des moyens permettant d'expérimenter une certaine forme d'enseignement assisté par ordinateur étaient mis à la disposition d'écoles de Suisse romande.

Les "nano-réseaux" obtenus grâce à l'entremise de l'Ambassade de France en Suisse, ont été utilisés successsivement dans les cantons de Fribourg, du Valais et de Neuchâtel.

Le Séminaire de Psychologie de l'Université de Neuchâtel a accepté d'assurer le suivi de l'expérience avec la collaboration de l'Institut romand de Recherche et de Documentation pédagogiques (IRDP) et le concours des enseignants et responsables impliqués.

Nous rendrons compte ici principalement des observations faites à l'école primaire (classes de 5ème année) de La Chaux-de-Fonds où les élèves ont principalement fait de l' "EAO". Mais d'autres activités ont également été pratiquées: découverte et utilisation d'un programme de création de dessins animés (Story-Board), programmation en Basic et traitement de textes.

Rappelons encore que l'objectif de l'observation ne concernait pas spécialement le matériel ni le logiciel, mais qu'il s'agissait plutôt de cerner les relations qui se développent entre l'élève, le maître et la machine.

Conditions générales de l'expérience

Les élèves venaient travailler par demi-classe dans une salle spécialement aménagée et se groupaient par 2 ou 3 devant une console.

Lors d'une séance, les élèves ont dû travailler individuellement. De fait, les enfants ont recréé spontanément des groupes en communiquant d'une console à l'autre.

Chaque élève avait à sa disposition un carnet dans lequel il notait le nom des programmes utilisés et les scores obtenus. Des fiches d'évaluation que les élèves remplissaient eux-mêmes à la fin de chaque séance ont également été utilisées.

Premières observations

Rôle de l'animateur

Entre les différents animateurs qui se sont succédés, plusieurs cas de figure classique ont été observés: collaboration de l'animateur et d'un groupe d'élèves à une tâche commune, animation ex-cathédra, etc. L' animateur devait aussi veiller au bon fonctionnement des groupe; lorsque, par exemple, dans un groupe un élève est mis à l'écart ou, encore, lorsqu'un élève s'empare systématiquement du clavier.

L'animateur intervenait souvent en deux temps: d'abord au niveau de la classe dans son ensemble pour donner des instructions générales puis au niveau des groupes d'élèves.

Interaction entre les élèves d'un groupe

On relève tout d'abord plusieurs organisations possibles dans un groupe d'élèves. En voici quelques exemples: chaque élève du groupe tape à tour de rôle une touche, chaque élève tape une réponse, chaque élève tape pendant un certain temps, le travail est "distribué" par un des membres du groupe, un élève occupe seul le clavier, etc.

Quelle soit spontanée ou suggérée, l'organisation du groupe évolue au cours de l'activité. Diverses raisons contribuent à cette évolution. Tout d'abord la nature de l'activité qui peut être lente ou au contraire imposer un rythme de travail très rapide. Une autre cause de la modification de l'organisation du groupe de travail peut être, par exemple, l'hésitation d'un élève qui finira par agacer les camarades du groupe. Ils commenceront à intervenir ou à se désintéresser de l'activité.

Les interactions qui peuvent avoir lieu face à l'ordinateur sont très subtiles et ne sont pas toujours liées au programme qui est exécuté sur la machine ainsi que le montrent les exemples ci-dessous:

Matière enseignée et ordinateur

Ce point peut parfois relever de l'anecdote amusante. Toutefois il faut noter que l'ordinateur est une machine qui permet à tout moment de mener des activités qui ne sont pas prévues par le programme. On nommera "détournement d'activités" ces usages non mentionnés dans le mode d'emploi. Voici deux types de détournements observés:

L'enfant et l'ordinateur

En général les élèves ne possèdent que très peu de connaissances réelles sur les ordinateurs. Celles-ci se limitent souvent à un certain vocabulaire acquis au contact de la famille ou de copains plus âgés

Par contre ils ingurgitent sans sourciller tous les mots (loading, error, ...) qu'ils voient défiler sur leur écran. Ils leur donnent des significations ("loading ça veut dire attendre ...") qu'ils ajustent au fur et à mesure de leur travail.

Le stade de la fascination est dépassé. Les élèves sont exigeants par rapport au matériel (rapidité du programme, fiabilité). La désinvolture des élèves contraste souvent avec la sophistication du matériel qui est mis à leur disposition.

Toutefois l'ordinateur semble garder un aspect magique pour les élèves qui lui attribuent différents pouvoirs (tricherie, favoritisme, etc).

Conclusions

En conclusion on relèvera que les problèmes de l'utilisation de l'ordinateur en classe ne sont pas, pour la plupart, spécifiques à l'ordinateur, mais se retrouvent dans d'autres domaines. Mentionnons, entre autres: l'influence du type de l'animation sur le déroulement des apprentissages, les relations entre le type de l'activité et le comportement des élèves, la diversité des interactions entre élèves ou entre groupes d'élèves, etc.

Toutefois l'ordinateur semble présenter quelques particularités, pour le moins lorsqu'il est utilisé comme support d'enseignement. Il s'agit de la dynamique propre qu'il crée. L'ordinateur n'est pas seulement une machine passive. Il se pose en partenaire actif.

L'enseignant doit tenir compte de cette dynamique qui rend la gestion d'un groupe classe difficile mais qui pourrait lui permettre d'imaginer d'autres types d'interventions et favoriser son observation des élèves.

Il est nécessaire, à notre avis, de bien connaître les programmes (mais de savoir tout de même assumer un certain degré d'ignorance) et de les utiliser selon leurs mérites propres. Certains sont à utiliser parcimonieusement à titre de contrôle des connaissances. D'autres peuvent être utilisés plus régulièrement.

Il faut également savoir que le but déclaré du programme ne suffit pas à définir le type de relations qui va s'instaurer entre l'animateur et les élèves. La représentation que l'animateur et les élèves se font des possibilités d'utilisation du logiciel et la manière dont l'animateur conçoit son propre rôle semblent susceptible de créer, sur la base du même moyen, des relations maître-élèves-ordinateur très différentes (mentionné également par Lamouroux et More, 1987).

Diverses difficultés subsistent. Certaines sont liées sont aux conditions de l'expérience. D'autres sont plus générales:

Bibliographie

Bossuet,G. (1982) L'ordinateur à l'école. Paris: Presses universitaires de France.

Ministère de l'Education nationale, Mission aux Technologies nouvelles (1985).Catalogue des logiciels "informatique pour tous".

Documentation des logiciels Nathan-Ecoles (1985). Français/Mathématiques. Paris: Cedic-Nathan.

Josseron, H.(1987) Des maîtres et des ordinateurs: l'école résiste à l'innovation technologique. Bull. Le Binet Simon, 612 (III).

Lamouroux, G., More, R. (1987) Point de vue critique sur l'enseignement assisté par ordinateur. Bull. Le Binet Simon, 612 (III).

Perriault, J. (s.d.) Sur la prise en compte de la relation d'usage en informatique pour l'éducation. Education, télématique, informatique, 2, CNRS.

Turkle, S. (1986) Les enfants et l' ordinateur. Paris: Denoël.(traduit de l' américain).